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Confrontées à une surpopulation de leurs cimetières, et en manque d’espace funéraire disponible, les grosses villes peuvent peiner à innover. Pourtant, de par le monde, des architectes apportent des solutions, parfois étonnantes, dérangeantes, pragmatiques.

 

 

C’était en 2011. Le concours d’architecture Skyscraper Competition, consacré chaque année aux projets de gratte-ciel, dévoilait ses finalistes, parmi plus de 700 projets soumis. Les jeunes designers français Romaric Fillette et Chandrasegar Velmourougane figuraient dans la liste. Ils présentaient un projet de cimetière vertical pour Paris, qu’ils positionnaient aux abords de la tour Eiffel.

Lors d’une conférence en Pologne en 1994 déjà, l’architecte Philippe Madec déclarait travailler sur un projet (qui n’a pas abouti) "d’installation particulière, verticale et abstraite, de petits immeubles-cimetières au cœur des métropoles". Il reprenait : "Si aujourd’hui nous pouvons penser autrement les cimetières, c’est que les mentalités en sont venues petit à petit à nous l’autoriser et que la nécessité culturelle et économique s’en fait sentir." Voulant "donner une place parmi les vivants", il concevait une "nouvelle architecture funéraire, collective". En 2013, il ajoutait : "Le cimetière n’est pas le lieu de la mort, il n’est ni hôpital, ni maison, ni route. Il s’adresse aux vivants, recueille une vie vécue avec intensité. […] Enfin, le cimetière comme lieu a un rôle de médiateur, une vocation à accompagner le deuil, à équiper la mémoire, tant collective qu’individuelle, à dire l’humanité et la personne. Traditionnellement espace sacré mais dépourvu de spiritualité, horizontal parlant des corps allongés, j’ai cherché à le dresser."

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Une rampe montant en spirale

Pour Romaric Fillette et Chandrasegar Velmourougane, le concept s’est traduit en 2011 par un immeuble avec en pied un étang artificiel et une rampe montant en spirale autour d’un puits de lumière, abritant les niches des défunts d’où partent vers l’extérieur des filaments flexibles symboliques soufflés par le vent. Numériques, les pierres tombales affichaient messages et photos. Le lieu, au milieu de la ville, devait offrir une vue sur Paris et devenir un point de repère où les familles pourraient s’y rassembler.

Construire en hauteur pour limiter l’emprise au sol, c’était déjà l’ambition des "Cathédrales du silence", empilement bétonné d’enfeus sur huit niveaux de sépultures (18 000 places) élevé en 1972 au cimetière Saint-Pierre à Marseille par l’architecte René Durandau. Nous sommes toutefois très loin des 108 mètres de hauteur du Memorial Necropole Ecumênica de Santos, au Brésil, plus haut bâtiment funéraire vertical au monde. Bâti à partir de 1983, ce lieu touristique sur 32 étages propose des chapelles, un crématorium. Mais aussi un bar, une chute d’eau, des espaces verts, des étangs avec animaux sauvages. Il serait conçu pour abriter 25 000 concessions. Verdure, cérémonies du souvenir et stockage des corps : voilà le cocktail retenu dans cette résidence.

Dans cette quête de place disponible, trois designers ont imaginé en 2011 de doter Mexico d’une "Tour de la Mort" souterraine sur 250 mètres de profondeur au nom du symbolique retour à la terre. Un autre projet a vu le jour en 2003, à Bagdad, de cimetière suspendu. En 1991, une agence d’architecture allemande imaginait déjà un cimetière vertical en forme de croix sur 25 étages. Dans la partie verticale, ce qui était lié à la crémation. Dans la partie horizontale, un sol artificiel permettait des inhumations.

Un immeuble en nid d’abeilles

Des étudiants américains de l’Illinois Institute of Technology, eux, ont suggéré en 2010 pour Bombay (Inde) une nécropole gratte-ciel végétalisée, ouverte aux quatre principales religions (hindouistes, musulmans, chrétiens, parsis), baptisée "Moksha Tower". Elle comprenait des installations pour la crémation, une rivière pour disperser les cendres, une tour du silence sur le toit, et des lieux de culte et de méditation. Les corps ne pouvaient y demeurer plus de dix ans, afin d’assurer un roulement.

Lors d’une conférence sur les cimetières, en 2013 à Oslo (Norvège), l’étudiant en architecture Martin McSherry a présenté sa solution verticale : un immeuble évolutif en nid d’abeilles dominant la ville, associé à une grue chargée d’ajouter des emplacements petit à petit, comme un rappel permanent de notre mortalité. Chaque groupe religieux disposait de son étage.

Certains pays où la terre est rare et la place chère ont concrétisé ces concepts de cimetières verticaux. Ainsi, en Israël, l’architecte Tuvia Sagiv expliquait en 2014 dans la presse avoir été chargé par les autorités locales de concevoir une nécropole dans la banlieue de Tel Aviv, capable de couvrir les besoins en concessions pour 25 ans. Le cimetière Yarkon de Tel Aviv étant quasiment saturé (110 000 tombes), la capacité "doit grimper à 250 000 tombes sans nécessiter une extension de la surface, grâce à 30 édifices funéraires verticaux". Et de fait, les abords du cimetière abritent désormais des bâtiments en béton, étagés, arborés, en effet de vague, au faux airs de parking à niveaux. Nécessité oblige, les religieux ont donné leur aval.

Des niches en verre qui s’éclairent

Plus encore. Le Japon, lui, allie modernité, verticalité et technologie. En manque de place là aussi, sujet à une explosion du prix des concessions, Tokyo accueille par exemple en plein quartier commercial un curieux immeuble de béton clair, un cube bardé d’ouvertures arrondies, baptisé Shinjuku Rurikoin Byakurengedo. Moquette bleue dans les escaliers, salle de prières en bois clair où faire brûler de l’encens, salles de concerts intégrées, le bâtiment abrite surtout 3 500 niches de verre futuristes et symboliques ornées chacune d’un Bouddha éclairé de l’intérieur à la lampe LED bleue. Une sorte de paroi futuriste façon salle des coffres de banque. Le visiteur ne peut y entrer qu’avec une carte électronique, contenant les informations d’identité du défunt et son numéro de concession. Le lieu fonctionne comme une bibliothèque de cendres que la carte magnétique actionne. L’urne demandée, stockée en sous-sol parmi des milliers d’autres, est acheminée automatiquement par tapis roulant dans le bâtiment jusqu’à une salle appropriée. Un cadre numérique y diffuse alors des images du défunt.

Au centre de la capitale nippone se trouve également le temple Koukoko-ji. En son sein, le columbarium futuriste Ruriden abrite aussi depuis 2006 plus de 2 000 niches à urnes fermées par un Bouddha en verre éclairé, illuminées aux ampoules LED. Le badge d’accès actionne l’illumination de la case recherchée par les visiteurs venus honorer les cendres d’un proche ou l’esprit d’un ancêtre. À chaque saison sa couleur. Premier du genre à ouvrir, le sanctuaire a aussi été conçu pour que des défunts sans enfants, donc sans personne qui puisse nettoyer une tombe, prennent place parmi d’autres et ne se sentent pas abandonnés. La concession (la case individuelle à partir de 6 000 €) est garantie pour 33 ans.

Ce même concept a été repris à peu de chose près au temple Bansho-ji de Nagoya. Trois étages sont consacrés au cinéraire, dans un esprit multicultuel. Le troisième niveau dispose, là aussi, de panneaux lumineux parsemés de quelque 2 000 niches en verre ornées d’un Bouddha éclairé, et d’un système informatisé de cartes sécurisées. Déjà, certains protagonistes japonais du funéraire imaginent des lieux du souvenir où s’ajouterait l’apparition d’hologrammes des défunts qui délivreraient aux visiteurs des messages préenregistrés. À l’image d’une société nippone vivant noyée dans un environnement de technologies.

Olivier Pelladeau

 

Résonance hors-série n°4 - Août 2017

 

 

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