La simplification du contrôle des opérations funéraires et l'obligation, pour les entreprises de pompes funèbres de déposer leurs devis type dans toutes les mairies des communes où elles ont un établissement - principal et secondaire - dans les villes de plus de 5 000 habitants des départements où elles ont une implantation en question. Rencontre avec Philippe Gentil, président d'Alliance Funéraire.
Philippe Gentil, président d'Alliance Funéraire. |
Résonance : Monsieur Gentil, que pensez-vous des dernières dispositions votées il y a quelques jours par le Parlement et qui concernent plus particulièrement les dispositions relatives à des simplifications en matière de vacations auparavant obligatoires ?
Philippe Gentil : Comme d’habitude, ces textes et initiatives partent d’un bon sentiment et n’aspirent a priori qu’à faciliter la vie des opérateurs et à fournir aux familles la possibilité de comparer des tarifs pour faire le meilleur choix en toute transparence. Malheureusement, comme dans bien des cas, lorsqu’une loi est votée et promulguée, sa mise en œuvre sur le plan pratique est en partie occultée et, comme disait le général de Gaulle, on part du principe que : "L’intendance suivra !".
Or, on mesure bien à travers ces textes, un manque d’appréciation de ce qui se passe concrètement sur le terrain, lors de la perte d’un proche ou des obsèques.
Prenons l’exemple de la non-obligation de contrôle par un fonctionnaire habilité à cet effet en cas de fermeture d’un cercueil destiné à être inhumé dans une autre commune. Le nouveau texte précise que désormais dans l’hypothèse où un membre de la famille serait présent, la présence d’un officier de police n’est plus nécessaire.
A priori, l’idée est bonne et évite à un fonctionnaire de police dont la mission première est plutôt de s’occuper de sécurité des citoyens, de devoir se déplacer pour accomplir une formalité qui ne revêt pas un caractère fondamental. Par ailleurs, cela confère à l’entreprise de pompes funèbres une vraie souplesse car il arrive fréquemment que les familles soient obligées d’attendre l’arrivée de l’officier de police pour procéder à la fermeture du cercueil et lorsque ce dernier est en retard, cela crée des tensions intolérables. De ce point de vue-là, et d’un point de vue très pratique, ce mode de fonctionnement est excellent. Donc vous allez me dire à juste titre : "Vous voyez bien que le législateur rejoint vos préoccupations et celles de la famille" et vous aurez raison !
Maintenant, interrogeons-nous quand même sur le point suivant : qu’appelle-t-on un membre de la famille ? Chaque professionnel a bien connu des situations où un pseudo cousin éloigné ou même un voisin ou un ami se présentant comme un "membre de la famille" venait seul aux obsèques, n’ayant pas vu le défunt depuis plusieurs années. Que doit faire l’opérateur dans pareille circonstance ? Que se passe-t-il si, comme cela arrive parfois mais rarement il est vrai, la personne présente dit reconnaître le défunt et que l’on procède à la fermeture du cercueil pour l’inhumation de la mauvaise personne ? La réponse administrative que j’entends sera : "Si la personne s’est trompée et que l’on s’en aperçoit a posteriori, on procédera à l’exhumation du corps et à sa ré-inhumation dans la sépulture qui conviendra".
Cela ne me semble pas tenir et on imagine déjà le scandale que provoquerait un tel évènement… Par conséquent, je ne dis pas que cela est négatif, je préviens seulement des risques qu’une telle disposition entraînera et de la responsabilité qu’auront à supporter les professionnels qui n’auront comme autre choix que de faire signer des décharges aux gens se présentant comme membres de la famille pour s’exempter de toute erreur…
R : Les cas seront rarissimes et les erreurs pouvaient également se produire lorsque des fonctionnaires habilités à cette tâche l’exécutaient auparavant ?
PhG : Certes, mais la responsabilité reposait sur le représentant de l’autorité publique ce qui n’était pas du tout pareil. De plus, cela rassurait le public. En sera-t-il de même demain, j’en doute… Mais bon, on ne pas vouloir tout et son contraire et je reconnais le bien-fondé de cette mesure qui permettra à beaucoup d’entreprises de satisfaire les demandes des familles avec plus de facilité.
R : Quant aux devis à déposer dans les mairies des communes où l’entreprise exerce ainsi que dans celles où cette dernière a des établissements secondaires dans les villes de plus de 5 000 habitants, que pensez-vous de cette disposition ?
PhG : Plusieurs réflexions. D’abord, j’ai toujours pensé que la transparence en matière tarifaire était nécessaire et même recommandée vis-à-vis du public lors de l’évènement tragique de la perte d’un proche comme dans tous les cas de figure d’ailleurs. Je suis un chef d’entreprise mais je suis aussi un consommateur et personnellement, j’ai toujours eu horreur de penser que les prix qui m’étaient présentés pour des prestations étaient flous, incomplets et cachaient des surcoûts que je devais payer en plus. Donc sur l’aspect de l’information transparente pour laquelle le sénateur Sueur a toujours milité, je le rejoins à 100 %.
Maintenant, encore une fois, si la disposition concernant les devis part du meilleur sentiment possible, sa mise en œuvre, son contrôle et son suivi vont s’avérer particulièrement complexes, lourds et selon moi parfois en inadéquation avec la réalité.
Prenons l’exemple que j’avais donné il y a quelque temps d’une entreprise exerçant dans un département (les Pyrénées-Atlantiques ou la Moselle) où se trouvent deux grandes communes éloignées l’une de l’autre de près de 100 km. Cet opérateur funéraire risque de devoir afficher des devis-types qui seront bien difficiles à comprendre par la population dans ces deux communes. En effet, si l’opérateur est à Biarritz, il devra afficher un devis local intégrant un coût de transport nul ou presque dans la commune de Biarritz, en revanche à Pau qui se trouve à 100 km dans le même département, il affichera un devis régional intégrant de facto un coût de transport important puisque travaillant avec un dépôt opérationnel trop éloigné… À Pau, la population aura beaucoup de mal à comprendre pourquoi les tarifs de l’entreprise de Biarritz sont beaucoup plus élevés que ceux de l’entreprise locale. Impossible au final pour les familles de comparer et de comprendre…
On va me rétorquer que les familles n’auront qu’à lire le devis dans le détail pour comprendre qu’il y a des coûts de transport intégrés dans un devis alors qu’ils sont absents dans l’autre. Naturellement cela est facile à dire et à comprendre lorsqu’on n’est pas dans un état émotionnel fort (celui de la disparition d’un proche), car dans le cas inverse, la majorité des familles ne "décortiquent" pas les devis avec un tel degré de détails. Elles n’en ressentent ni le besoin ni l’envie.
Je ne parle pas de départements tels que ceux de la région parisienne où beaucoup de communes font plus de 5 000 habitants et où les dépôts de devis vont représenter des masses très considérables d’informations à recevoir et à traiter par les mairies. C’est l’objet de ma troisième réflexion.
Selon l’INSEE, on dénombre un peu moins de 1 100 communes de plus de 5 000 habitants et selon les fédérations, environ 3 000 opérateurs. Si mes calculs sont bons, en admettant que chaque opérateur dépose au minimum 2 devis par commune (un pour la crémation et un pour l’inhumation), cela va représenter plusieurs millions de devis minimum déposés dans les communes de France. Pour peu que certaines entreprises ne suivent pas les recommandations avisées de certaines fédérations qui pensent que déposer, en les rendant anonymes, les 30 derniers devis émis par l’entreprise s’avéreraient plus juste que simplement 2 devis de base, vous imaginez que les communes vont devoir faire face à un afflux de paperasse considérable qu’elles ne sauront pas toutes gérer. Et je ne parle pas, ce qui sera mon quatrième point, des mises à jour dès lors qu’il y a changement de tarifs…
Voilà pourquoi j’insiste sur le fait que ces dispositions manquent de sens pratique et qu’elles vont, à l’heure de la simplification administrative, créer des points d’engorgement et de gestion si coutumiers à notre pays. Ma crainte est que trop de volonté de transparence ne finisse par créer de la confusion et d’importantes erreurs dans le jugement des familles. L’opposé de ce que cherche le législateur en fait…
Philippe Gentil
Président d'Alliance Funéraire
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