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Proposition de loi visant à la restitution des restes humains appartenant aux personnes publiques.


Le Sénat a adopté le 13 juin 2023 (cf. document joint) une proposition de loi désormais transmise à l’Assemblée nationale et visant à la restitution de certains restes humains conservés par des personnes publiques. La question n’est pas tout à fait neuve et cette problématique n’est donc pas inédite. On se souviendra en effet, par exemple, de l’affaire dite des têtes maories : la ville de Rouen envisagea la restitution à la Nouvelle-Zélande d’une tête humaine momifiée de l’ethnie maorie (plus de 500 furent dispersées dans le monde). Seulement cette tête est entreposée au musée de Rouen, musée national, et fait ainsi partie de son domaine public.

Un déclassement de ce bien par son propriétaire à des fins de restitution était alors indispensable, ce à quoi il se refusait. Il fallut alors une loi pour que soit possible la restitution des têtes maories des collections publiques, en les déclassant légalement (L. n° 2010-501, 18 mai 2010, art. 1er : Journal Officiel 19 mai 2010 ; S. Duroy, Peut-on perdre la tête... maorie, dans le respect du droit ? : AJDA 2011, p. 1225).

Ce débat ubuesque n’est pas d’ailleurs sans précédent, puisqu’il fallut le vote de la loi n° 2002-323 du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud, pour pouvoir rendre à ce pays, afin qu’il puisse lui donner une sépulture convenable et méritée, les restes mortels de cette femme qui connut une vie épouvantable.

Un domaine public singulier : le domaine public mobilier

Quel est alors le contexte juridique qui interdit ce type de restitution et justifie l’intervention d’une loi ? Le problème réside dans la qualification de ces restes mortels en biens relevant du domaine public. Le Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) énonce à l’art. L. 2111-1 que : "Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d’une personne publique mentionnée à l’art. L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public".

Schématiquement, ceci signifie que certains biens publics obéissent à un régime juridique particulier, la domanialité publique, dès lors qu’ils remplissent certaines conditions. Or cette qualification est importante car une fois qualifiés de tels, ces biens ne peuvent être gérés comme les autres. Tout particulièrement, ils sont inaliénables et ne peuvent donc quitter le patrimoine de la personne publique qu’au prix d’une procédure spécifique que l’on appelle "le déclassement" et qui vient constater que le bien n’est plus utilisé pour la raison qui l’avait fait qualifier de bien relevant du domaine public.

C’est ce que traduit l’art. L. 2141-1 du Code de la propriété des personnes publiques lorsqu’il énonce que : "Un bien d’une personne publique mentionnée à l’art. L. 1, qui n’est plus affecté à un service public ou à l’usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l’intervention de l’acte administratif constatant son déclassement". Ainsi, en l’absence de déclassement, c’est-à-dire d’un acte administratif exprès (alors que l’appartenance au domaine public n’en nécessite aucun et n’est que la résultante de l’application des critères de la domanialité au bien considéré) le bien relève toujours du domaine public et demeure à ce titre inaliénable.

Par exemple, la vente d’un bien relevant de ce régime domanial peut être annulée à tout moment (CE 7 mai 2012, SCP Mercadier et Krantz, req. n° 342107, AJDA 2013 p. 1171, note Foulquier). Cette nullité peut être revendiquée sans limitation de durée (un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 25 février 2009 [pourvoi n° 07-15.772 : JCP A, n° 14, 30 mars 2009, 2080, note P. Yolka] vient annuler une mise en copropriété, qui datait du 7 mai 1881, c’est-à-dire plus de 120 années après l’opération, en raison de l’absence de déclassement du bien au moment de sa vente….

Or, l’art. L. 2112-1 du CG3P dispose que : "Sans préjudice des dispositions applicables en matière de protection des biens culturels, font partie du domaine public mobilier de la personne publique propriétaire les biens présentant un intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique, notamment". Il s’ensuit alors une énumération, mais celle-ci n’est que purement exemplative puisque l’article prend soin d’utiliser l’adverbe "notamment". Ainsi, il peut exister des biens meubles qui sans correspondre à cette liste relèveront du domaine public parce qu’ils présentent "un intérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique". Or des restes mortels peuvent assurément recevoir une telle qualification…

C’est cette affectation ou, pour certains auteurs, cette absence d’affectation qui empêche une restitution aisée de ces restes dont la présence dans des collections publiques peut être légitimement perçue comme inappropriée. C’est donc le sens de cette proposition de loi que de permettre avec plus de facilité, et dans des conditions que nous allons évoquer, une telle opération.

Un nouveau régime de restitution

Le champ d’application de cette réforme serait le suivant : un nouvel art. L. 115-2 serait créé au Code du patrimoine. Cet article poserait la dérogation au principe d’inaliénabilité que nous avons précédemment évoqué pour un "corps complet" ou "un élément de corps humain". Il est important de relever que cette sortie du domaine public serait conditionnelle : elle ne pourrait s’opérer que pour "permettre sa restitution à un État à des fins funéraires".

On remarquera néanmoins qu’une fois ces restes transférés, on ne discerne que peu de possibilités de sanctionner un État qui aurait d’autres visées quant au devenir de ces restes…. Un art. L. 115-3 expliciterait alors les conditions de la restitution : "Art. L. 115-3. – Pour l’application de l’art. L. 115-2, la sortie du domaine public d’un reste humain identifié et issu d’un territoire d’un État étranger ne peut être prononcée que si les conditions suivantes sont remplies :
"1° La demande de restitution a été formulée par un État, le cas échéant, agissant au nom d’un groupe humain demeurant présent sur son territoire et dont la culture et les traditions restent actives ;
"2° L’ancienneté du reste humain à compter de la date présumée de la mort est au plus de cinq cents ans au moment du dépôt de la demande de restitution ;
"3° Les conditions de sa collecte portent atteinte au principe de dignité de la personne humaine ou, du point de vue du groupe humain d’origine, sa conservation dans les collections contrevient au respect de sa culture et de ses traditions.

L’art. L. 115-5 prévoit la nécessité d’un décret pris en Conseil d’État afin de prononcer cette sortie du domaine public ainsi que l’accord de la collectivité si c’est celle-ci le dépositaire de ces restes. Plus globalement le texte renvoie à un décret ultérieur pour le détail du dispositif. On relèvera enfin un régime dérogatoire pour les restes mortels originaires de l’Outre-mer français.

Sénat : session ordinaire de 2022-2023
Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 juin 2023.

Proposition de loi
relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques,

Texte de la Commission de la Culture, de l’Éducation et de la Communication(1)
adopté selon la procédure de législation en commission, en application de l’art. 47 ter du Règlement.

Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco, vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mme Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Véronique Del Fabro, Laurence Garnier, M. Jacques Grosperrin, Mme Béatrice Gosselin, MM. Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial.
Voir les numéros : Sénat : 551 et 715 (2022-2023).

La commission a examiné cette proposition de loi selon la procédure de législation en commission, en application de l’art. 47 ter du Règlement.

En conséquence seuls sont recevables en séance, sur cette proposition de loi, les amendements visant à :
- assurer le respect de la Constitution,
- opérer une coordination avec une autre disposition du texte en discussion, avec d’autres textes en cours d’examen ou avec les textes en vigueur,
- procéder à la correction d’une erreur matérielle.

Proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques

Art. 1er

1 - Le chapitre V du titre Ier du livre Ier du Code du patrimoine est ainsi modifié :
2 - 1° L’intitulé est ainsi rédigé : "Sortie des collections publiques d’un bien culturel" ;
3 - 2° Est ajoutée une section 1 intitulée : "Déclassement", qui comprend l’art. L. 115-1 ;
4 - 3° Est ajoutée une section 2 ainsi rédigée :
5 – "Section 2
6 – "Restes humains appartenant aux collections publiques
7 – "Art. L. 115-2. – Par dérogation au principe d’inaliénabilité des biens des personnes publiques relevant du domaine public inscrit à l’art. L. 3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, il peut être décidé de la sortie du domaine public d’un reste humain, qu’il s’agisse d’un corps complet ou d’un élément de corps humain, relevant de l’art. L. 2112-1 du même Code, dans les conditions prévues aux articles L. 115-3 à L. 115-5 du présent Code.
8 – "La sortie du domaine public est réalisée exclusivement pour permettre sa restitution à un État à des fins funéraires.
9 – "Par dérogation à l’art. L. 451-7, le présent article est également applicable aux restes humains intégrés aux collections des musées de France par dons et legs.
10 – "Art. L. 115-3. – Pour l’application de l’art. L. 115-2, la sortie du domaine public d’un reste humain identifié et issu d’un territoire d’un État étranger ne peut être prononcée que si les conditions suivantes sont remplies :
11 – "1° La demande de restitution a été formulée par un État, le cas échéant, agissant au nom d’un groupe humain demeurant présent sur son territoire et dont la culture et les traditions restent actives ;
12 – "2° L’ancienneté du reste humain à compter de la date présumée de la mort est au plus de cinq cents ans au moment du dépôt de la demande de restitution ;
13 – "3° Les conditions de sa collecte portent atteinte au principe de dignité de la personne humaine ou, du point de vue du groupe humain d’origine, sa conservation dans les collections contrevient au respect de sa culture et de ses traditions.
14 – "Art. L. 115-4. – En cas de doute sur l’identification du reste humain faisant l’objet de la demande de restitution, un travail de vérification scientifique de son origine, conduit par un comité conjoint et paritaire formé en concertation avec l’État demandeur, permet de préciser son identification ou, à défaut, de le relier de manière probante avec le groupe humain dont il est présumé issu.
15 – "Des analyses scientifiques, y compris des caractéristiques génétiques constitutionnelles, peuvent être réalisées lorsque aucun autre moyen ne permet d’établir l’identification.
16 – "Le comité rédige un rapport, détaillant les travaux conduits et fixant la liste des restes humains dont l’origine a pu être établie, qui est remis au Gouvernement et à l’État demandeur.
17 – "Art. L. 115-5. – La sortie du domaine public est prononcée par décret en Conseil d’État, pris sur le rapport du ministre chargé de la Culture, le cas échéant conjointement avec le ministre de tutelle de l’établissement public national auquel le reste humain est affecté. Ce rapport est établi sur la base du rapport du comité conjoint et paritaire mentionné à l’art. L. 115-4 lorsqu’un tel comité est mis en place.
18 – "Dans le cas où le propriétaire est une collectivité territoriale, la sortie du domaine public ne peut être prononcée que sous réserve de l’approbation préalable de la restitution par son organe délibérant.
19 – "Art. L. 115-6. – Chaque année, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport présentant :
20 – "1° Les demandes de restitution de restes humains adressées par des États étrangers ;
21 – "2° Les décisions de sortie du domaine public prises au cours de l’année écoulée en application de la présente section, assorties des rapports et des avis correspondants mentionnés aux articles L. 115-4 et L. 115-5 ;
22 – "3° Les restitutions de restes humains intervenues au cours de la période en application de la présente section.
23 – "Art. L. 115-7. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application de la présente section, y compris les conditions dans lesquelles est réalisée l’identification des restes humains en application de la présente section et les modalités et les délais de restitution des restes humains à l’État demandeur suite à leur sortie du domaine public."

Art. 2 (nouveau)

Dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport identifiant les solutions possibles pour mettre en place une procédure pérenne de restitution des restes humains originaires du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie conservés dans les collections publiques.
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon
Chargé de cours à l’université
de Valenciennesx

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