Depuis quelques années, on voit apparaître quelques arrêts relatifs aux possibilités pour les familles de demander une exhumation de l’ossuaire, à rebours de la position selon laquelle de telles demandes ne pouvaient aboutir parce que l’ossuaire était en quelque sorte la dernière sépulture. Or, nous verrons que désormais, lorsqu’il refuse d’accéder à une telle demande, le maire doit trouver une explication matérielle ou tenant à un motif de police. Il ne peut plus se borner à un simple refus ….
Tribunal administratif, Nantes, 2e chambre, 19 octobre 2022 – n° 2008570
Les faits : une demande d’exhumation de restes inhumés à l’ossuaire
Une concession funéraire d’une durée de quinze ans a été attribuée au père de Mmes D et Sylvie B dans le cimetière de Saint-Herblain (Loire-Atlantique). La commune a repris le terrain et a transféré les restes des parents de Mmes D et Sylvie B dans l’ossuaire du cimetière du Tillay. Mme D B a sollicité l’exhumation des corps de l’ossuaire afin de pouvoir les inhumer à Saint-Herblain ou dans un autre cimetière.
Par une décision du 2 décembre 2019, le maire de la commune de Saint-Herblain a refusé cette exhumation. Mmes D et Sylvie B ont exercé un recours administratif contre cette décision, par une lettre du 2 février 2020. Ce recours a été rejeté par deux lettres du 13 mars 2020 du maire de la commune. Mmes D et Sylvie B demandent alors au tribunal administratif de Nantes d’annuler ces décisions des 2 décembre 2019 et 13 mars 2020. Laissons de côté les arguments relatifs à la reprise des concessions pour nous concentrer sur la demande d’exhumation de l’ossuaire.
L’inexistence d‘une individualisation des restes inhumés à l’ossuaire
Ce jugement nous intéresse tout d’abord parce qu’il énonce que les restes des sépultures reprises n’ont pas à être individualisés à l’ossuaire. En effet, le juge mentionne les dispositions de l’art. L. 2223-4 Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) selon lesquelles on inhume à l’ossuaire "les restes exhumés", il mentionne également les dispositions de l’art. R. 2223-20 du CGCT, qui est relatif, rappelons-le, aux reprises de concessions en état d’abandon (ce qui n’était pas le cas en l’espèce) selon lesquelles lorsqu’est procédé à l’exhumation des restes des personnes inhumées, pour chaque concession, ces restes sont réunis dans un cercueil de dimensions appropriées, pour venir alors en tirer la logique conclusion selon laquelle, pour reprendre sa propre formulation : "Il ne résulte pas de ces dispositions que les restes transférés vers l’ossuaire doivent être individualisés."
Refus du maire d’exhumer : pas de compétence liée
La compétence liée, c’est l’idée selon laquelle une autorité administrative, face à une situation donnée, n’a pas de marge d’appréciation, c’est-à-dire qu’elle est, ici, obligée, dans tous les cas de figure, de refuser cette exhumation de l’ossuaire.
Il nous paraît important de rappeler le contexte de ces demandes d’exhumation, que l’on commence à retrouver assez régulièrement dans les prétoires. On sait que désormais le juge administratif semble favorable à la possibilité d’exhumation individuelle (nous insistons sur ce terme, et il ne s’agit pas ici de vider des ossuaires de tous leurs défunts) de restes déposés à l’ossuaire dès lors que ceci est matériellement possible (CAA Lyon, 19 mars 2015, n° 14LY00931, Mme B, commentaire Jeanne Mesmin d’Estienne, JCP A n° 48, 30 novembre 2015).
Force est de constater que le Conseil d’État semble valider cette possibilité (CE, 21 novembre 2016, n° 390298, B c/commune de Saint-Étienne ; JCP A 2016, act. 916 ; cf. également : Emmanuel Salaun, "Exhumation des restes placés dans l’ossuaire. – Le juge se serait-il pris les pieds dans l’intensité de son contrôle juridictionnel" ? (JCP, A n° 27, 10 juillet 2017, 2175).
Il ressort de la lecture de ces arrêts que, si l’ossuaire est en principe la dernière sépulture, le juge n’exclut pas, par principe, la restitution de restes individualisés déposés à l’ossuaire, et que le seul moyen pour le maire de le refuser serait l’impossibilité matérielle d’identification de ceux-ci (on remarquera alors l’importance du premier point soulevé ici, puisqu’à compter du moment où les restes ne sont pas, comme il semble que ce fût le cas en l’espèce, individualisés, ils devraient être non restituables).
Ainsi, le Conseil d’État invalida l’arrêt de la CAA parce qu’il reprocha à la cour de ne pas avoir contrôlé les raisons pour lesquelles le maire ne pouvait matériellement accéder à la demande de la justiciable. Nécessairement, a contrario, c’était reconnaître que le maire, bien loin de pouvoir refuser uniquement parce qu’il était en compétence liée, devait apprécier la possibilité d’une exhumation.
Pour faire simple, le maire ne refuse pas l’exhumation parce qu’il est obligé de refuser, ce qui consacrerait l’idée jusque-là dominante du retrait impossible des restes inhumés dans l’ossuaire, mais bien qu’il devait expliquer les raisons pour lesquelles il était matériellement impossible ou à tout le moins très difficile de procéder à cette exhumation. Ce raisonnement valide nécessairement que le Conseil d’État n’estimait pas qu’une telle exhumation fût impossible.
Rappelons alors que la position classique du Gouvernement (Rép. min. n° 01357 JO S, 9 août 2007 ; Rép. min n° 00131, JO S, 5 juillet 2012) est à l’opposé de celle-ci et considéra par le passé qu’existait une atteinte au respect dû aux morts, c’est-à-dire un délit réprimé par le Code pénal (art. 225-17) lorsque l’on procédait à une telle opération. In fine, il semblerait d’ailleurs que le juge judiciaire soit plutôt en phase avec le Gouvernement sur ce point (cour d’appel d’Agen, 1re chambre civile – 10 avril 2019 – n° 16/00662) lorsqu’il affirme que : "Cette demande se heurte à l’art. L. 2223-4 du CGCT selon lequel le terrain affecté à l’ossuaire l’est à perpétuité, empêchant de ce fait tout retrait des ossements s’y trouvant".
Ainsi, en l’état de la jurisprudence administrative, on invite actuellement les communes à la plus grande prudence lorsqu’elles sont saisies d’une demande d’exhumation de restes déposés à l’ossuaire. Un maire qui refuse une demande d’exhumation des restes inhumés à l’ossuaire doit prendre soin de motiver la raison de ce refus par des obstacles matériels précis empêchant l’opération (ossuaire fermé et inaccessible, restes non déposés en cercueil, et restes non individualisés, etc.).
Revenons maintenant à notre jugement, et laissons parler Monsieur le maire cité par le tribunal : "La décision initiale du 2 décembre 2019 a été prise au motif que "l’affectation à l’ossuaire étant définitive comme le stipule (sic) l’art. L. 2223-4 du CGCT, je ne peux donc, au regard de la législation en vigueur, donner une suite favorable à votre demande de procéder à l’exhumation des urnes funéraires de vos parents déposés dans l’ossuaire"."
Et les lettres du 13 mars 2020, rejetant le recours gracieux, ont été prises au motif que "ni l’art. L. 2223-4 du CGCT, ni la jurisprudence en vigueur ne prévoit la possibilité d’une exhumation d’urnes placées à l’ossuaire […]. Il m’apparaît qu’en acceptant votre demande, je créerais un précédent qui me conduirait par la suite soit à devoir accepter toute demande d’exhumation […], soit à matérialiser une rupture d’égalité avec les autres administrés auxquels j’opposerai un refus d’exhumation".
Cette formulation est claire, le maire refuse parce qu’il se sent contraint de refuser parce qu’il pense être en situation de compétence liée. Le juge estime alors que ce refus est insuffisamment motivé dès lors que lui, à la suite de la jurisprudence citée, pense que le maire n’est pas dans une telle situation : "Toutefois, si en principe le dépôt de restes mortuaires dans un ossuaire est définitif, toute personne intéressée doit, dans certains cas, pouvoir obtenir l’exhumation de corps de proches qui ont été déposés dans un ossuaire, et un refus ne peut être fondé que sur un motif de police administrative, tel que la salubrité publique ou la décence dans les cimetières. Ainsi, en s’estimant en situation de compétence liée pour refuser aux intéressées l’exhumation des corps des parents des intéressées de l’ossuaire municipal, le maire de Saint-Herblain a entaché sa décision d’une erreur de droit".
On remarquera l’utilisation du terme "en principe", qui apparaît maladroit et dont on ne mesure pas tout à fait la signification. Le maire ne pouvait refuser que pour un motif de police tel que la salubrité ou la décence, et, parce que ce refus est insuffisamment motivé, la décision est annulée. Il conviendra donc que les requérants le saisissent de nouveau de cette demande d’exhumation, et qu’il trouve un véritable motif de police pour la refuser…
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon
Chargé de cours à l’université de Valenciennes
Résonance n° 186 - Décembre 2022
Résonance n° 186 - Décembre 2022
Suivez-nous sur les réseaux sociaux :