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Un récent arrêt rendu par la cour d’appel de Bordeaux le 21 juin 2022, opposant deux entreprises de gravure d’articles funéraires, nous rappelle que certaines créations constituent des œuvres originales protégées par le droit d’auteur. À l’occasion de ce litige, la cour nous rappelle les critères permettant de définir si une création est originale ou non, ainsi que la possibilité d’agir en concurrence déloyale et parasitaire.


Dans cette affaire, une société, spécialisée dans la gravure sur pierre et commercialisant des plaques funéraires ornées de motifs gravés, avait assigné en contrefaçon et concurrence déloyale une entreprise concurrente au motif que cette dernière proposait également à la vente une gamme de plaques très largement inspirées ou reproduisant à l’identique des gravures qu’elle considérait comme constituant des créations originales protégées par le droit d’auteur, au sens de l’alinéa 1 de l’art. L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle : "L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous".

Qu’est-ce qu’une œuvre originale ?

Ainsi que le rappelle la cour, "l’originalité d’une œuvre […] suppose qu’elle soit issue d’un travail libre et créatif et résulte de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur […]. L’originalité d’une œuvre peut résulter du choix des couleurs, des dessins, des formes, des matières ou des ornements mais, également, de la combinaison originale d’éléments connus". Par ailleurs, peu importe que l’œuvre soit produite en série dans le cadre, comme en l’espèce, de production industrielle de plaques funéraires identiques.

Dans cette affaire, il s’agissait de plaques présentant des motifs assez courants sur le marché : colombes, grappes de raisin, paysages, épis de blé, oiseaux, boulistes, etc. En outre, ces gravures ne faisaient pas apparaître de techniques de gravure particulières utilisées par leur auteur, ni d’agencement original des éléments gravés.

Ainsi, c’est en retenant ces éléments de fait que la cour a jugé que l’ensemble des seize plaques en cause ne constituaient pas des œuvres originales : "les scènes ou les choses [gravées] se présentent […] comme des représentations fidèles de sujets communs […]. Il n’apparaît pas que l’agencement d’éléments connus traduise de la part de l’auteur des gravures un effort personnel de création qui permettrait d’en reconnaître l’originalité. N’exprime pas davantage le caractère créatif de l’auteur la réalisation […]d’un dessin plus ou moins simplifié ou détaillé, ni le caractère plus ou moins appuyé du trait, qui tient en partie à la technique de gravure adoptée, en noir et blanc. L’impression d’ensemble donnée par chacune des seize œuvres en cause ne révèle pas une réelle activité créatrice permettant de les qualifier de "créations originales". Elles ne peuvent en conséquence bénéficier de la protection par le droit d’auteur".

La concurrence déloyale et parasitaire

Si l’absence de caractère original d’une œuvre ne permet pas à son auteur d’obtenir la réparation de son préjudice sur le fondement de la contrefaçon du droit d’auteur, la diffusion d’œuvres, même non originales dans des conditions très similaires à celles d’un concurrent, peut en revanche constituer une concurrence déloyale et parasitaire. Et tel a été le cas en l’espèce.

Si la concurrence déloyale et le parasitisme sont fondés sur les mêmes textes - l’art. 1240 du Code civil (ex-1382) relatif à la responsabilité civile délictuelle : "Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer -, la cour rappelle qu’ils "sont caractérisés par application de critères distincts" :
• La concurrence déloyale se caractérise par le "risque de confusion avec l’activité ou les produits du concurrent" ;
• Les agissements parasitaires consistent à "tirer ou entendre tirer profit de la valeur économique acquise par autrui au moyen d’un savoir-faire, d’un travail de création, de recherches ou d’investissements, de façon à en retirer un avantage concurrentiel".

Et ainsi qu’en a jugé la Cour de cassation, "l’action en concurrence déloyale peut se fonder sur des faits matériellement identiques à ceux qui sont allégués au soutien d’une action en contrefaçon rejetée pour défaut de constitution de droit privatif" (Cass., civ. 1, 7 octobre 2020, n° 19-11.258).

En l’espèce, la cour ne retiendra que les actes de concurrence déloyale invoqués par la société victime, jugeant que la société concurrente s’était livrée à réaliser "la copie servile de produits commercialisés par (la société victime) susceptible de créer un risque de confusion dans l’esprit de sa clientèle".

La cour a en effet constaté, s’agissant de certaines plaques, que "les différences relevées […] ne (portaient) que sur des détails qui ne suffisent pas à écarter, aux yeux d’un client moyennement attentif, le risque de confusion avec les produits de la société (victime des actes de concurrence déloyale)".

La cour a donc condamné l’entreprise concurrente à verser des dommages et intérêts à la société victime de la concurrence déloyale.

L’opérateur funéraire et les œuvres originales

Certes, cette affaire opposait deux fournisseurs de plaques gravées produites en série, mais il n’en demeure pas moins que l’opérateur funéraire ainsi que son éventuel sous-traitant graveur sur pierre, fournisseurs de gravures aux familles, se devront de faire preuve de vigilance s’agissant de vente de créations sortant de l’ordinaire.

En effet, si la commercialisation de prestations de gravures, textes ou motifs, classiques ou dans des typographies usuelles dans le secteur funéraire (antique, bâton, anglaise, par exemple), ou représentant des motifs sans originalité, ne posera aucune difficulté sur le terrain de la propriété intellectuelle, tel ne sera pas le cas si la prestation porte sur la reproduction de motifs originaux ou de créations typographiques originales.

La plupart des fournisseurs de monuments ainsi que de nombreux graveurs, proposent à leurs clients des créations originales, en particulier des motifs destinés à orner les sépultures, et plus rarement des typographies originales.

En présence de ce type de création, il conviendra de faire preuve de la plus grande vigilance s’agissant de les reproduire ou de les faire reproduire par un fournisseur ou sous-traitant différent de son auteur. En effet, en pareilles circonstances, l’auteur d’une œuvre originale dont la création aura été contrefaite (c’est-à-dire reproduite sans son autorisation), serait fondé à agir contre son contrefacteur et son diffuseur en dommages et intérêts.

Référence : Cour d’appel de Bordeaux, 21 juin 2022, n° 19/06541
 
Xavier Anonin
Docteur en droit
Avocat au barreau de Paris

Résonance n° 183 - Septembre 2022

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