Il était temps ! Rares sont les sujets qui, dans notre droit funéraire, sont restés aussi longtemps pratiqués en dehors de tout cadre réglementaire. Le dépotage en est un. L’opération est pourtant simple, puisqu’il s’agit d’opérer un changement de cercueil moins de cinq ans après sa fermeture dans un but légitime : respecter les dernières volontés du défunt. Pour la première fois, un texte législatif publié le 22 février 2022 au Journal officiel consacre cette pratique.
La situation se présente couramment lorsqu’une personne décédée à l’étranger ou en France d’outre-mer entre sur le territoire national dans un cercueil hermétique conformément aux dispositions internationales(1) en vue de sa crémation. En l’espèce, l’opérateur funéraire se heurte à un obstacle de taille : les matériaux du cercueil hermétique (zinc) ne sont pas compatibles avec la crémation.
Or, la fermeture du cercueil a un caractère définitif (art. R. 2213-20 al. 2 du Code Général des Collectivités Territoriales – CGCT) et la réouverture d’un cercueil en bon état ne peut être effectuée "que s’il s’est écoulé cinq ans depuis le décès" (art. R. 2213-42. al. 7).
Ces dispositions se heurtaient pourtant à un double impératif : le principe de la liberté des funérailles consacré par l’art. 3 de la loi du 15 novembre 1887 dont découle l'impératif de respect des dernières volontés du défunt et dont la violation constitue un délit prévu et réprimé par l’art. 433-21-1 du Code pénal, qui dispose que "toute personne qui donne aux funérailles un caractère contraire à la volonté du défunt ou à une décision judiciaire, volonté ou décision dont elle a connaissance, sera punie de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende".
Cependant, pratiquer la crémation sur le lieu du décès avant de procéder au rapatriement de l’urne contenant les cendres du défunt aurait pour effet de priver la majeure partie des proches du défunt d’assister à ses obsèques en raison de l’éloignement géographique et du coût important d’un tel déplacement.
En outre, attendre l’écoulement du délai de cinq ans prévu à l’art. R. 2213-42 du CGCT pour pouvoir rouvrir le cercueil et enfin satisfaire les dernières volontés du défunt ne semble pas non plus constituer une solution satisfaisante, tant pour la dignité du défunt que pour le deuil de ses proches.
Pour pallier ces inconvénients, il était d’usage que certains parquets autorisent, à titre dérogatoire, de tels changements de cercueil en dépit de l’absence de tout texte leur conférant cette compétence.
La question, pourtant régulièrement soulevée par la profession depuis plus de quinze ans(2), est demeurée sans solution textuelle jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (dite "3DS"). Son art. 238 crée un art. L. 2223-42-1 au CGCT qui dispose que :
"À la demande de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles et lorsque le corps du défunt a été placé, pour assurer son transport, dans un cercueil composé d’un matériau présentant un obstacle à la crémation, une autorisation de transfert du corps vers un cercueil adapté peut être délivrée par le maire.
Cette autorisation ne peut être délivrée qu’en vue de la crémation du corps, qui s’opère sans délai après le changement de cercueil, et à condition que le défunt n’ait pas été atteint par l’une des infections transmissibles prescrivant ou interdisant certaines opérations funéraires, dont la liste est fixée par voie réglementaire.
Un décret en Conseil d’État précise les conditions d’application du présent article."
Une solution législative fruit d’une très longue maturation…
Cette disposition intervient après de nombreux atermoiements ministériels et parlementaires. Dans un premier temps, le Gouvernement avalisait l’intervention du procureur de la République malgré l’absence de texte :
- Une première réponse ministérielle en date du 1er février 2005 indiquait en effet qu’il "appartient […] à la famille souhaitant faire procéder à la crémation d’une personne décédée à l’étranger de solliciter auprès du procureur de la République une telle autorisation permettant le transfert du corps de la personne décédée dans un cercueil en bois, […] utilisable en cas de crémation"(3).
- Cette solution sera confirmée par une deuxième réponse ministérielle le 14 février 2006 : "Toute réouverture du cercueil, étant, en principe, considérée comme une violation de sépulture, est susceptible d’être sanctionnée pénalement. Toutefois, cette opération peut être réalisée, à titre exceptionnel, après intervention du ministère public."(4)
Mais l’année suivante, le Gouvernement changeait radicalement de position :
- En effet, dans une nouvelle réponse ministérielle publiée le 25 septembre 2007, le ministre de l’Intérieur restreignait la possibilité de réouverture du cercueil autorisée par le procureur de la République au seul cadre judiciaire "essentiellement en cas de doute sur l’identité de la personne se trouvant dans le cercueil ou de circonstances suspectes concernant le décès"(5).
- Position réaffirmée une première fois dans une réponse publiée le 30 décembre 2010 : "Toute réouverture du cercueil est […] impossible, sauf dans le cadre d’une instruction judiciaire diligentée par le procureur de la République. Dans ces conditions, lorsque le corps d’une personne décédée est mis en bière dans un cercueil métallique, il n’est plus possible de procéder à la crémation de la dépouille."(6)
- Puis une seconde fois en 2014 : "Le droit en vigueur ne permet pas […] la réouverture du cercueil (l’art. R. 2213-20 du CGCT prévoit que la fermeture du cercueil est définitive)."(7)
Ce n’est qu’en 2018 qu’une première proposition de loi sera déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale, mais sans pour autant aboutir. Ce texte prévoyait en effet une procédure assez lourde, puisque l’autorisation d’ouvrir le cercueil aurait relevé de la compétence du tribunal d’instance.
Une solution simple mais prudente apportée par la loi "3DS"
L’adoption de ce nouveau texte par la loi dite "3DS" du 21 février 2022 a le mérite de la simplicité, puisqu’il donne compétence au maire pour autoriser le transfert du corps dans un autre cercueil. Cependant, ce texte renvoie avec prudence à un décret en Conseil d’État pour préciser ses conditions d’application. On ne peut en effet que s’interroger sur les conditions sanitaires dans lesquelles une telle opération devra être réalisée.
De nombreuses questions restent donc à préciser eu égard à l’état de dégradation dans lequel se trouvent les corps concernés souvent décédés depuis plusieurs jours au moment du changement de cercueil. Si ce type d’opération se déroule déjà depuis de nombreuses années, aucun texte spécifique n’encadre sa pratique :
- De quels équipements de protection les personnels réalisant cette opération devront-ils être revêtus ?
- Quelles sont les mesures qui auront vocation à être prises s’agissant des aménagements du lieu de réalisation de l’opération ?
- À quel traitement devront être soumis les déchets résultant de cette opération ?
- Cette opération sera-t-elle soumise à la surveillance de l’autorité de police ?
Une fois n’est pas coutume, attendons donc patiemment les précisions que ne manquera pas d’apporter le pouvoir réglementaire.
Xavier Anonin
Docteur en droit
Avocat au barreau de Paris
Nota :
(1) Convention internationale sur le transport de corps, dite "Convention de Berlin" du 10 février 1937 ; Accord de Strasbourg du 26 septembre 1973.
(2) P. Larribe, Cercueil hermétique et crémation… Une situation sans solution réglementaire ! Résonance funéraire, janv. 2018, mai 2015 et mai 2012 ; P. Dupuis, Le cercueil hermétique et la crémation, Résonance funéraire n° 115, nov. 2015 ; Dépotage… expotage… appelez ça comme vous voulez, mais il est temps que le législateur se penche sérieusement sur la question, Résonance funéraire HS n° 1, août 2015
(3) Question n° 51785, JOAN, 1er février 2005, p. 1120.
(4) Question n° 48496, JOAN, 14 février 2006, p. 1597.
(5) Question n° 179, JOAN, 25 septembre 2007, p. 5829.
(6) Question n° 11626, JO Sénat, 30 décembre 2010, p. 3364.
(7) Question n° 08950, JO Sénat, 6 mars 2014, p. 631.
Résonance n° 178 - Mars 2022
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