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Les arguments du gouvernement pour interdire les forêts cinéraires sont-ils pertinents juridiquement ?


Question écrite n° 21192, JO Sénat 4 mars 2021

Par cette réponse ministérielle, le Gouvernement annonce la fin des forêts funéraires, une expérimentation qui consistait en un site d’inhumation d’urnes funéraires biodégradables ; l’argument mis en avant est le suivant : "Ces projets ne peuvent être mis en œuvre à ce jour en raison d’une incompatibilité des prestations proposées avec le droit funéraire en vigueur, revenant à faire payer aux familles des prestations qui doivent être gratuites.

En effet, à l’issue de la crémation, la dispersion des cendres est notamment autorisée "en pleine nature" conformément à l’art. L. 2223-18-2 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT). Cette opération, qui peut par exemple s’effectuer au sein d’un espace naturel forestier, est gratuite, mais ne peut donner lieu à la matérialisation d’une sépulture."

On comprend encore mieux cette position à la lumière d’une autre réponse ministérielle, déjà, à propos de ce même site mais avec des précisions supplémentaires (Rép. n° 24586, JO AN 22/09/2020), qui énonçait que : "Il en découle une série d’obligations auxquelles la commune doit satisfaire avant l’ouverture du site, et notamment la clarification entre la dispersion et l’inhumation des cendres. Juridiquement, une urne inhumée doit pouvoir permettre la conservation des cendres et faire l’objet d’une exhumation.

Ainsi, l’inhumation d’une urne biodégradable s’apparente juridiquement à une dispersion de cendres. Or, la dispersion de cendres, en pleine nature ou en jardin du souvenir, s’oppose à la notion de sépulture ou de lieu mémoriel qui est le postulat initial du projet de "forêt cinéraire". La principale conséquence de ce régime juridique est l’impossibilité d’attribuer, notamment moyennant finances, une concession en vue d’inhumer des urnes biodégradables."

Essayons maintenant de reprendre chacun de ces points :

- Le premier écueil serait que, dans cette forêt cinéraire, la dispersion serait payante

Nous ne pensons pas que cet obstacle soit dirimant. Il faut se souvenir que, déjà, par le passé, une circulaire n° 97-00211 C du 12 décembre 1997 autorisa la perception d’une "taxe" de dispersion. Évidemment, ce ne pouvait être une taxe. En effet, l’article L. 2223-22 du CGCT donnait la liste des taxes possibles dans le domaine funéraire. Aucune autre taxe que celles se trouvant dans cette liste ne pouvait être prélevée par la commune, puisqu’un impôt ne peut trouver sa source que dans la loi, or cet article disposait que : "Les convois, les inhumations et les crémations peuvent donner lieu à la perception de taxes dont les tarifs sont votés par le conseil municipal. Dans ces tarifs, aucune surtaxe ne peut être exigée pour les présentations et stations dans un lieu de culte."

Néanmoins, de très nombreuses communes percevaient également un nombre varié de taxes, relatives aux exhumations (Rep. min. JOAN, Q 18 avril 1994 n° 11051), ou bien encore aux ouvertures de caveau (Rep. min. JOAN Q 22 mars 1999), ce qui était (est) indubitablement illégal lorsqu’elles n’accomplissaient pas cette opération mais ne faisaient (font) que l’autoriser. Cette "taxe" de dispersion ne pouvait donc qu’être un prix, une redevance dont la contrepartie était une prestation résidant dans l’utilisation de l’espace de dispersion et possiblement par la fourniture d’un personnel chargé de cette mission de dispersion, ou de la surveillance.

Rappelons, si besoin en était, que cette opération de dispersion ne voit aucunement ses modalités encadrées par le CGCT. Nous ne discernons donc pas d’obstacle à ce que cette opération donne lieu à redevance, même si le Gouvernement la qualifie d’espace de dispersion ; la position du Gouvernement pourrait trouver sa source dans la qualification de cette forêt cinéraire (cf. infra, dernière remarque pour une meilleure compréhension).

- Le deuxième obstacle serait celui de la qualification juridique de cette opération

Il faut bien admettre que, si les mots ont un sens, il ne va pas de soi qu’enfouir une urne puisse s’apparenter à une dispersion. Néanmoins, rappelons qu’aucune définition juridique de ce qu’est une dispersion n’existe dans le CGCT, et qu’aucune disposition ne vient réglementer la procédure de dispersion. C’est la raison pour laquelle il appartiendrait à un règlement de site cinéraire ou de cimetière de venir encadrer cette opération qui ne l’est pas. A priori, et au vu d’ailleurs de pratiques dans certains cimetières où l’on enfouit déjà des cendres par un "carottage" du sol, cet argument ne nous semble pas justifier à lui seul la fin de ce procédé.

- Le troisième serait celui de la matérialisation d’une sépulture

De nouveau, l’interdiction de la matérialisation de la sépulture dans une hypothèse de dispersion devrait pouvoir se tempérer. En effet, l’art. L. 2223-2 du CGCT ne mentionne-t-il pas que le site cinéraire destiné à l’accueil des cendres des personnes décédées, dont le corps a donné lieu à crémation, comprend un espace aménagé pour leur dispersion et doté d’un équipement mentionnant l’identité des défunts. Or aucune caractéristique n’est fixée à cet équipement qui constitue indubitablement une forme de matérialisation.

On pourrait bien admettre un dispositif sur lequel les familles pourraient inscrire l’identité du défunt dispersé. Encore une fois, en pratique, les communes ont une très grande marge de manœuvre dans le type d’équipement choisi, puisqu'il n’existe aucune réglementation spécifique et que tout le monde ignore en quoi consiste juridiquement cet équipement. Rappelons de surcroît que, celui-ci appartenant aux communes puisqu’il est l’accessoire du lieu de dispersion, les communes seraient libres de fixer un prix à l’utilisation de ce dispositif.

- Le quatrième serait que l’urne biodégradable enfouie ne permettrait pas une exhumation de l’urne

Si auparavant on était étonné, là on est désormais perplexe : on veut bien accepter qu’enfouir une urne c’est l’inhumer et non la disperser (cf. supra), mais on peine à comprendre pourquoi on exigerait une urne non biodégradable au motif que l’emploi d’une urne biodégradable transformerait de ce simple chef l’inhumation en dispersion…

Rappelons que les cercueils et même les cercueils hermétiques sont biodégradables plus ou moins rapidement en fonction de la nature des sols. On pourrait également relever qu’un cercueil inhumé en pleine terre va se disloquer extrêmement rapidement sous le poids de la terre, et qu’enfin, même placé dans un caveau, le temps fera son office et qu’il se délitera nécessairement.

Certes, les cendres disparaîtront plus aisément que les ossements du fait de leur faible encombrement, mais a priori, n’est-ce pas l’un des buts du cimetière et donc également celui du site cinéraire que d’opérer la consumation des restes mortels dans le respect de l’hygiène publique ? À l’assertion de notre propos : on relèvera que l’art. R. 2213-25 CGCT énonce que :
"À l’exception des cas prévus à l’art. R. 2213-26, le corps est placé dans un cercueil muni d’une cuvette d’étanchéité respectant des caractéristiques :
[…]
3° De biodégradabilité lorsqu’il est destiné à l’inhumation ou de combustibilité lorsqu’il est destiné à la crémation afin de protéger l’environnement et la santé.
[…] ; tandis que l’art. R. 2213-27 dispose que : "Les cercueils hermétiques doivent être en matériau biodégradable." 

La forêt cinéraire : "pleine nature" ; "espace de dispersion" du site cinéraire ou site cinéraire à part entière ?

Nous avons l’impression que c’est à cause de sa qualification ou plutôt de son absence de qualification juridique que la forêt cinéraire pose problème : faut-il la considérer comme une dispersion en pleine nature comme le Gouvernement le fait dans la réponse ministérielle ?

Nous n’y inclinons pas. Certes, il existe de nombreuses forêts communales qui peuvent relever de la pleine nature (rappelons de nouveau qu’il n’existe aucune définition de ce terme de "pleine nature" dans les textes légaux ou réglementaires. Nous ne disposons que de la circulaire du 14 décembre 2009 (NOR : IOCB0915243C) qui tente de la définir.

Précision sur la notion de "pleine nature"

Il n’existe pas de définition juridique de cette notion. Dès lors, seule l’interprétation souveraine des tribunaux permettrait d’en préciser le contenu. Toutefois, il peut être utile de se référer à la notion d’espace naturel non aménagé, afin de déterminer si le lieu choisi pour la dispersion est conforme ou non à la législation. De ce fait, la notion de pleine nature apparaît peu compatible avec celle de propriété particulière, interdisant la dispersion des cendres dans un jardin privé. Ce principe peut néanmoins connaître des exceptions, notamment lorsque la dispersion est envisagée dans de grandes étendues accessibles au public mais appartenant à une personne privée (un champ, une prairie, une forêt…), sous réserve de l’accord préalable du propriétaire du terrain.
 
Certes, en tant que telle, une forêt doit pouvoir être qualifiée de "pleine nature", néanmoins, cette dispersion en pleine nature nous semble incompatible avec la volonté communale de faire de cette forêt un espace aménagé spécifiquement pour les urnes funéraires, alors que le propriétaire de l’espace où les cendres sont dispersées n’a jamais la volonté de le consacrer spécifiquement à cette fonction (déjà que, le plus souvent, il n’est pas même informé de cette dispersion).

Dès lors, cette qualification de "pleine nature" étant écartée, soit on considère qu’il s’agit d’un équivalent au jardin du souvenir, c’est-à-dire strictement un lieu de dispersion, soit on considère en tant que telle qu’elle constitue un site cinéraire isolé. Dans cette seconde hypothèse, nous ne discernons pas comment on pourrait y refuser des inhumations d’urnes, voire un (des) columbarium(s), pour lesquels, d’ailleurs, force est derechef de constater que nous ne disposons pas non plus de la moindre définition légale ou réglementaire dès lors que CGCT dispose en son art. L. 2223-2 […] : "Le site cinéraire destiné à l’accueil des cendres des personnes décédées dont le corps a donné lieu à crémation comprend un espace aménagé pour leur dispersion et doté d’un équipement mentionnant l’identité des défunts, ainsi qu’un columbarium ou des espaces concédés pour l’inhumation des urnes."

Il apparaît de plus en plus urgent de mieux définir les termes entourant le devenir des cendres, au risque que les ambiguïtés perdurent sur ce qu’il est ou non possible d’en faire…
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes

Résonance n° 175 - Novembre 2021

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