L’actualité jurisprudentielle nous permet de traiter d’un équipement funéraire, en l’occurrence de la chambre funéraire, par le prisme du droit de l’urbanisme. En effet, dans l’arrêt commenté ci-dessous, il est refusé la transformation d’un bureau en chambre funéraire pour des motifs d’insuffisance de création de places de stationnement. Cour administrative d’appel, Lyon, 1re chambre, 1er juin 2021 – n° 19LY04261.
Les faits : la création d’une chambre funéraire à partir de locaux de bureaux
Le 15 janvier 2018, la SASU "ICI BAS" a déposé une déclaration préalable de travaux portant sur le changement de destination d’un local en vue de la création d’une chambre funéraire. Par arrêté du 14 février 2018, le maire de Francheville ne s’est pas opposé à la déclaration. Suite à un recours contentieux, le maire de Francheville a retiré cet arrêté par une décision du 9 mai 2018. Par jugement du 26 septembre 2019, le tribunal administratif de Lyon a annulé cette décision et la décision rejetant son recours gracieux. La commune de Francheville relève appel de ce jugement. Le motif de ce retrait réside essentiellement dans la violation de l'art. 12 du PLU (Plan Local d’Urbanisme), c'est-à-dire le manquement à la réalisation de places de stationnement.
Qu’est-ce qu’un changement de destination ?
En droit de l’urbanisme, le changement de destination consiste à passer de l’une à l’autre des destinations prévues par le Code de l’urbanisme. Il faut comprendre que cette destination est purement juridique. En effet, le juge estime que, par destination, il convient de se référer non pas à l’utilisation matérielle du bien, mais bien à sa destination juridique, c’est-à-dire à la façon dont il est désigné par le droit de l’urbanisme (CE 12 mars 2012 Commune de Ramatuelle, n° 336263).
Normalement, cette destination sera donc celle qui figure dans l’autorisation de construire. Si l’immeuble est antérieur à 1943 (date d‘instauration du permis de construire), une telle autorisation n’existait pas. Dès lors, il conviendra de rechercher un maximum de preuves de la destination initiale de l’immeuble.
En effet, il n’y a pas de changement de destination sans autorisation depuis 1976. C’est pourquoi il est possible d’utiliser, à titre de présomption non irréfragable, la déclaration à faire à l’Administration fiscale en 1970 sur l’usage de l’immeuble, afin de déterminer ce qu’il en était. À l’époque des faits de l’arrêt, il existait neuf destinations (ancien art. R 23-9 du Code de l’urbanisme).
Désormais, il convient de noter la réforme opérée par le décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015 qui remplaça les anciennes destinations de l’art. R. 123-9 par cinq destinations, elles-mêmes subdivisées en vingt sous-destinations, puis en vingt et une (décret n° 2020-78 du 31 janvier 2020 et arrêté du 31 janvier 2020). Le nouveau régime s’impose pour l’instruction de nouveaux changements de destination (CAA de PARIS, 1re chambre, 20/05/2021, 19PA0098).
Ainsi, transformer un local de bureaux en chambre mortuaire était bien constitutif à l’époque d‘un changement de destination, puisque cette chambre funéraire entrait pour le juge et pour le PLU en cause dans la catégorie des équipements collectifs (usuellement dénommés CINASPIC – Constructions et Installations Nécessaires Aux Services Publics ou d’Intérêt Collectif) et que le bureau constituait une autre catégorie de destination.
Or, un changement de destination nécessite toujours une autorisation d’urbanisme, en l’espèce, il convenait d’obtenir une déclaration préalable (le permis de construire n’est exigible que si l’on touche aux murs porteurs ou à la façade). Enfonçons le clou : changer de destination sans demander une autorisation est constitutif d’une infraction pénale et d’une faute civile.
Les obligations en matière de réalisation de places de stationnement
En présence d’un PLU, c’est toujours l’art. 12 du PLU qui a pour objet de "fixer les obligations imposées aux constructeurs en matière de réalisation d’aires de stationnement" (R. 123-9 du Code de l’urbanisme). Ce même l’article dispose de surcroît que : "les règles édictées […] peuvent être différentes dans une même zone selon que les constructions sont destinés à l’habitation, à l’hébergement hôtelier, aux bureaux, au commerce, à l’artisanat, à l’industrie, à l’exploitation agricole ou forestière ou à la fonction d’entrepôt […]", c’est-à-dire différentes selon les destinations de l’immeuble. Le fait générateur de l’obligation de création de places de stationnement ou bien, à la toute fin, de l’acquittement de la taxe d’aménagement est donc l’autorisation d’urbanisme (art. L. 331-6 du Code de l’urbanisme).
Ainsi, en allait-il pour le PLU métropolitain de Lyon, qui précisait que : 4. Aux termes de l’art. 12 UI du règlement du plan local d’urbanisme de la métropole de Lyon : "Le stationnement des véhicules doit correspondre aux besoins des constructions et doit être assuré en dehors des voies publiques.
/ Le nombre de places de stationnement requises est différent selon la nature des constructions réalisées. Soit un nombre minimum de places de stationnement est requis, soit un nombre maximum de places de stationnement est imposé.
/ 12.1 Modalités de calcul : Le décompte des places est différent selon la nature de l’opération envisagée. Il s’effectue selon les modalités suivantes : […] Pour les changements de destination ou d’affectation : Le nombre de places exigible prend en compte uniquement la différence de norme entre les deux destinations ou affectations. Cette norme n’est pas exigible pour la création de nouveaux commerces. […]
/ 12.2 Règle relative au stationnement de véhicules automobiles : Le stationnement des véhicules correspondant aux besoins des constructions doit être assuré en dehors des voies publiques conformément aux dispositions de l’art. R. 111-4 du Code de l’urbanisme, et sans pouvoir excéder les limites fixées par l’art. L. 421-3 du Code de l’urbanisme […]
/ Pour les constructions à destination d’équipements publics ou d’intérêt collectif : Le nombre minimum ou maximum de places de stationnement doit en outre être déterminé en tenant compte de la nature, de la situation géographique, de la fréquentation de la construction et de la fréquence de la desserte par les transports collectifs, des stationnements publics situés à proximité."
L'absence dans le PLU d'une indication précise du nombre de places de stationnement nécessaire va alors obliger le juge à adopter une comparaison non pas quantitative, mais qualitative. Il va comparer l'activité générée par une chambre funéraire par rapport aux l'anciens bureaux : le projet prévoit la création d’une chambre funéraire, comprenant notamment un espace d’accueil, trois salons pour recevoir les corps, un magasin, un laboratoire, ainsi qu’un local pour accueillir le véhicule destiné au transport des corps.
Le projet, qui porte ainsi sur l’aménagement d’une construction d’intérêt collectif, prévoit, pour le personnel et le public, cinq places de stationnement, dont une place à mobilité réduite, soit un nombre identique à celui de l’ancien local à usage de bureaux. Alors que l’activité peut occasionner la présence concomitante de plusieurs membres de la famille et proches, notamment, ainsi que le fait valoir la commune de Francheville, lors de la fermeture des cercueils, et même si aucune cérémonie n’est prévue à cet emplacement, il ressort des pièces du dossier que le parc public de stationnement desservant le centre aquatique Aquavert est éloigné et difficilement accessible, étant séparé de la construction par des axes importants, et que, eu égard à la nature de l’activité et aux contraintes liées à l’organisation de la suite des cérémonies funéraires, la présence à proximité de transports en commun n’est pas de nature à modifier le nombre de places de stationnement requis par le projet.
Dans ces conditions, en prévoyant cinq places de stationnement, alors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les espaces situés le long des voies publiques à proximité permettraient aisément et à toutes heures le stationnement d’autres véhicules, le nombre de places de stationnement projeté ne respecte pas les dispositions citées au point précédent de l’art. 12 UI du règlement du PLU de la métropole de Lyon."
C'est parce que l'activité de chambre funéraire est plus importante et potentiellement génératrice de plus de fréquentation que des bureaux, que le nombre de places prévu est insuffisant et que l'autorisation est rejetée. Nous ne connaissons pas la situation locale, mais ce refus n'est pas nécessairement définitif.
En effet, placé devant une demande de places supplémentaires, le pétitionnaire est dans la situation suivante :
- Il est capable de respecter l’art. 12 du PLU en réalisant le nombre de stationnements que requiert l’autorisation d’urbanisme qu’il a demandé sur le terrain (l’unité foncière) du lieu d’implantation de la chambre funéraire ;
- Il en est incapable, dans ce cas, et uniquement dans ce cas :
a) Soit il pourra être tenu quitte de ses obligations par l’obtention d’une concession à long terme dans un parc public ou privé de stationnement existant ou en cours de réalisation (CE 8 décembre 2000, Ville Paris/Malfato, n° 202766 : une sous-concession de 16 ans est une concession à long terme).
b) Soit par l’acquisition ou la concession de longue durée de places de stationnements dans un parc privé.
Ces deux types d’emplacements devant se trouver à proximité de l’opération projetée (300 mètres).
Sanction de la violation de l’obligation de création
La violation d’une disposition du PLU, comme l’art. 12, constitue une infraction pénale au titre des dispositions de l’art. L. 160-1 du Code de l’urbanisme ; s’agissant d’un délit, la prescription est de six années.
Par ailleurs, existe une action civile fondée sur les dispositions de l’art. 1240 du Code civil permettant à une personne démontrant un préjudice d’engager une action en dommages et intérêts. Cette action civile ne peut être engagée que dans les cinq ans qui suivent la violation de la règle d’urbanisme. Enfin, existe une action, prescrite par dix ans possible sur le fondement de l’art. L. 480-14 du Code de l’urbanisme.
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes
Résonance n° 172 - Juillet 2021
Résonance n° 172 - Juillet 2021
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