Repos Digital accompagne les familles sur l’héritage numérique des défunts et sur toutes les données qui en découlent. Maîtriser les réseaux sociaux, les notifications indélicates, protéger le souvenir de l’être cher disparu en bloquant l’accès aux comptes pour éviter les piratages, mais aussi récupérer l’argent et les autres biens sur les néobanques, sites de jeux, de paris sportifs et e-commerce sont les principales actions menées par cette start-up. Découverte d’une jeune entreprise novatrice dans le domaine numérique et funéraire en compagnie de Kilian Weydert, cofondateur et CEO.
Résonance : Tout d’abord, une question simple… Comment est né Repos Digital ?
Kilian Weydert : L’aventure de Repos Digital a démarré en mars 2020. Ce n’était alors qu’une idée que j’avais lancée au concours entrepreneurial de mon école (École Supérieure d’Ingénieurs Léonard-de-Vinci – ESILV). Le projet l’a remporté, et j’ai reçu beaucoup de messages de soutien et d’encouragement. Porté par cet engouement collectif, j’ai décidé de consacrer 100 % de mon temps à Repos Digital dès la fin de mes études, quatre mois plus tard. Entre-temps, j’ai constitué une équipe avec quatre amis d’école, et nous nous sommes lancés dès septembre 2020. Le projet a été accompagné par plusieurs incubateurs, dont celui de l’ESILV, puis à Station F à Paris, temple des startups et de l’innovation. Nous avons aujourd’hui intégré Matrice Cube, une pépinière d’entreprises parisienne à vocation écologique, sociale et solidaire.
R : Pouvez-vous nous parler des raisons fondatrices qui vous ont amené à accompagner les familles en deuil dans la gestion ô combien délicate des comptes numériques du défunt dispersés sur les multiples sites Internet ?
KW : Alors que nous n’étions encore que de jeunes étudiants (avec mon associé Nicolas), le compte Facebook d’un élève décédé un an avant s’est fait pirater. Du jour au lendemain, les parents et les proches ont reçu des messages du défunt. Ça a été pour eux un véritable traumatisme. Supprimer un compte Facebook après décès, ce n’est pas évident pour tout le monde, mais, quand celui-ci est entre les mains d’un hackeur, c’est encore plus difficile. Nous avons constaté qu’il n’existait aucune solution pour la famille, qui devait se débrouiller seule. Et les opérateurs funéraires n’en avaient pas non plus.
Nous nous sommes donc penchés sur le sujet et avons évalué l’ampleur de la tâche. Au-delà des quelques réseaux sociaux connus de tous, nous avons en réalité plusieurs centaines de comptes sur Internet qui "errent" sans aucune protection, engendrant souvent de nombreux problèmes. Par exemple, les rappels d’anniversaire avec des personnes qui, n’ayant pas été mis au courant du décès, continuent de le souhaiter. Cela est très difficile à vivre pour les proches. Même les notifications, à la base insignifiantes, deviennent parfois sordides… Une femme nous a déjà témoigné recevoir des "demandes de vie" d'un joueur décédé sur Candy Crush !
Les réseaux sociaux et boîtes mail sont aussi le symbole de notre identité, et l’ensemble de ces comptes sont sujets au piratage. Là encore, c’est une expérience traumatisante qui peut entraîner harcèlement, usurpation d’identité, et une intrusion très forte dans l’intimité du défunt et des personnes avec qui il échangeait. Et n’oublions pas que nos biens numériques ne sont jamais rendus aux héritiers, comme l’argent pouvant rester sur les sites d’e-commerce, les solutions de paiement, de paris et de jeux en ligne.
Enfin, l’impact environnemental du stockage et du traitement continu de ces données post mortem, devenues inutiles, est conséquent. Pour une entreprise comme Facebook, cet impact équivaut, pour une année, à celui d’un pays comme le Burkina Faso. C’est pourquoi il faut gérer toutes les données, même les plus insignifiantes.
R : Comment s’est passé le développement du site et le travail pour mettre en place un algorithme performant capable de "visiter" plus de cinquante sites pour y identifier les comptes du défunt ?
KW : Nous savions qu’en plus de Facebook et Instagram, un Français a généralement plus d'une centaine de comptes sur Internet… mais impossible de les gérer, car inconnus de la famille. Nous voulions apporter une solution à ce problème. Forts de notre équipe technique (trois ingénieurs "informatique" et un web designer), nous avons développé un programme qui va, proactivement, rechercher un maximum de comptes appartenant à une personne à partir de ses adresses mail et de son numéro de téléphone, entre autres. Il va "demander" auprès de chaque site visité si le mail lui dit quelque chose.
C'est une technique qui est proche de l'Open Source Intelligence visant à capter un maximum d'informations disponibles sur le Web. Nous avons testé et vu que cela fonctionnait, le cœur du programme était au point. Ce programme est une petite pépite qui participe à la force de notre service et nous différencie concrètement des autres acteurs du marché. Il est important de comprendre que nous n'accédons jamais aux comptes que nous identifions, mais que nous savons simplement qu'un compte existe et, donc, qu'il doit être géré.
R : Comment avez-vous abordé les aspects éthiques inhérents à ce type de service aux familles endeuillés, et comment en avez-vous défini les règles ?
KW : L’éthique est ici l’affaire de juristes et du législateur. La gestion des données numériques post mortem se trouve actuellement dans un vrai flou juridique, même si la donnée à caractère patrimonial tente d’être définie par les notaires. Nous collaborons étroitement avec un laboratoire notarial dédié à l’innovation, qui nous guide sur ces questions. Par exemple, la première question éthique que nous avons rencontrée était de savoir si nous devions communiquer sur l’existence de tous les comptes que nous trouvions. Concernant les comptes dits "sensibles" (site de rencontres, site pornographique, etc.) – s’ils existaient –, nous avons décidé de ne pas en informer la famille et de les clôturer systématiquement.
Autre exemple : une personne seule en possession d’un acte de décès et d’une preuve de son lien avec le défunt peut gérer le devenir d’un compte Facebook. Or, nous pensons que cette décision revient à l’ensemble des héritiers. Nous travaillons donc sur une solution afin de recueillir l’approbation de l’ensemble de ceux-ci, préalablement défini par le notaire. En ce qui concerne l’accompagnement "pur et dur" auprès des familles, notre objectif est de recruter et former des conseillers funéraires, car ils ont les compétences nécessaires dans ce domaine.
R : Enfin, quelle est l’offre destinée aux opérateurs funéraires ?
KW : Nous en avons décliné deux : une offre "essentielle", qui vise les réseaux sociaux et boîtes mail, le cœur du problème, et une offre "complète", où nous gérons l’ensemble des comptes que nous sommes capables de gérer aujourd’hui, soit plus d’une quarantaine (réseaux sociaux, mails, sites de rencontres, e-commerce, néobanques, solutions de paiements ou encore sites de paris et de jeux). Les modalités de distribution diffèrent d’un partenaire à l’autre ! Nous sommes jeunes, encore flexibles, et trouvons un accord gagnant-gagnant avec chacun de nos partenaires, le but étant qu’ils puissent faire bénéficier de ce service vraiment différenciant au plus grand nombre de familles, à un coût minimum.
Gil Chauveau
Résonance n° 180 - Mai 2022
Résonance n° 180 - Mai 2022
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