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En 2019, dans le cadre des travaux relatifs à la "Charte du respect de la personne endeuillée", nous avions engagé une discussion de fond autour du statut de la personne endeuillée dans la société contemporaine. Un statut qui passait, inévitablement, par un travail préalable de codification de la législation relative aux différents droits dont bénéficie la personne endeuillée durant cette phase.

[…]

III - Les droits issus d’un cadre conventionnel

Certains droits spécialement aménagés pour les personnes endeuillées trouvent leur fondement dans des accords conventionnels de branche. Certains droits ne sont que le renforcement par une branche professionnelle de droits légaux. Il en est ainsi, par exemple, des congés spéciaux en matière d’évènements familiaux. Le Code du travail a prévu un minimum de jours de congés que les partenaires sociaux, à travers des accords collectifs, ont sensiblement fait évoluer au profit des personnes concernées.

Si les droits des personnes endeuillées puisant leur origine dans un cadre législatif ont caractère universel, à l’inverse, ceux issus d’un cadre conventionnel peuvent varier d’une branche à une autre. Ainsi, dans certaines conventions collectives, ces droits sont réellement consacrés et en nombre ; dans d’autres, ils se réduisent au strict minimum.

En général, les garanties de prévoyance insérées par les partenaires sociaux dans les conventions collectives ne sont que le complément à un droit légal permettant aux personnes frappées par un deuil de disposer de ressources leur permettant la continuité de leur vie sociale et familiale.

Les garanties décès se mettent en place au niveau d’une branche professionnelle ou de l’entreprise, par un dialogue entre l’employeur et les salariés ou leurs représentants. Parmi les droits ouverts au profit de la personne endeuillée, il convient de dresser l’inventaire qui suit.

- Droit à un capital décès

Le montant du capital décès versé à la famille est tributaire de certains paramètres, tels que la rémunération du salarié décédé. Il peut également varier en fonction de la situation familiale (majoration pour enfants à charge) et de l’âge de l’assuré au moment du décès. Dans certaines conventions collectives, le capital est parfois accompagné de garanties complémentaires, telles que la garantie obsèques, le doublement du capital en cas de décès accidentel et la majoration en cas de décès simultané du conjoint.

- Droit à la rente d’orphelin

La rente d’orphelin peut être prévue dans le cas du décès simultané ou postérieur du conjoint survivant sous certaines conditions. Cette rente correspond à un pourcentage de la rente de conjoint survivant. Elle peut être remplacée par le versement d’un capital.

- Droit à la rente de conjoint

La rente de conjoint est définie comme le versement d’une somme déterminée par un contrat au conjoint survivant. Le conjoint survivant non remarié est en principe le bénéficiaire de cette rente. La rente de conjoint a pour but de compléter les pensions de réversion des régimes complémentaires de retraite. Elle est constituée soit d’une rente viagère seule, soit d’une rente viagère à laquelle s’ajoute une rente temporaire.

- Droit à la rente d’éducation

Adjointe à un contrat d’assurance décès, ou indépendante, la garantie rente d’éducation a pour objet de prévoir en cas de décès de l’assuré, le souscripteur, le versement régulier d’une somme d’argent aux bénéficiaires désignés dans le contrat. Les bénéficiaires sont les enfants à charge et la période de versement est temporaire, liée aux études des bénéficiaires, pouvant aller dans certains contrats jusqu’au 28e anniversaire.

- Droit à une allocation de frais d’obsèques

En cas de décès de l’assuré ou d’un membre de sa famille, le versement d’une somme forfaitaire destinée à couvrir les frais d’obsèques est assuré par les organismes de prévoyance. Ainsi, par exemple, la Convention collective nationale de la pharmacie d’officine prévoit qu’en cas de décès du participant, de son conjoint, d’un enfant à charge ou d’un ascendant à charge, ouvre droit au versement d’une allocation. Cette allocation est versée à la personne qui a assumé les frais d’obsèques, sur remise des pièces justificatives des frais exposés.

IV - Les droits issus d’engagements volontaires

Les compagnies aériennes, ont initié sous la houlette de la Délégation interministérielle à l’outre-mer des engagements en matière de transport aérien des personnes endeuillées. Le rapport d’évaluation de la "Charte du respect de la personne endeuillée", remis par le député Georges Colombier à Marie-Anne Montchamp, secrétaire d’État aux Solidarités et à la Cohésion sociale, le 23 juin 2011, revient longuement sur les engagements des compagnies aériennes. Il convient donc de ne pas s’attarder, sauf à analyser leur portée en tant qu’instrument générateur de nouveaux droits pour les endeuillés.

Ces engagements ont créé de facto un triptyque de droits nouveaux composé d’un droit à une priorité à la réservation, d’un droit à un tarif préférentiel de voyage pour un maximum de cinq accompagnateurs, ainsi que d’un droit à la modification et l’annulation à des conditions plus favorables pour le passager que celles prévues par les conditions générales des compagnies.

V - Les droits issus d’un contrat d’assistance obsèques

Les contrats obsèques constituent également une source d’ouverture de droits pour l’assuré, mais également pour ses ayants droit. Comme il a été signalé précédemment, ces droits sont servis de son vivant et à son décès.

- Le droit à l’assistance du vivant de l’assuré

La mise en œuvre de ce droit est confiée à un organisme d’assistance. Ainsi, il peut aider l’assuré à chercher et le mettre en relation le cas échéant avec des professionnels proposant des services à la personne et pouvant intervenir à son domicile dans les domaines de l’entretien de la maison, d’aide pour les repas.

- Le droit à l’assistance des personnes endeuillées

Ainsi, les personnes endeuillées sont assistées pour le rapatriement du corps, la présence sur le lieu du décès, la prise en charge de son hébergement sur place, le cas échéant, son rapatriement s’il n’est pas titulaire d’un billet de retour, la garde ou le transfert des enfants ou des petits-enfants durant les obsèques, la sécurisation du domicile lors des obsèques, l’avance de fonds pour l’organisation des obsèques.

- Les prestations d’assistance destinées au conjoint survivant pendant les mois suivant le décès de l’assuré

Durant cette phase, l’organisme d’assistance accompagne le conjoint survivant dans les déplacements pour régler les démarches administratives, assurer la garde des animaux de compagnie de l’assuré décédé, fournir une aide-ménagère, la mise à disposition d’un appareil de téléassistance pour le conjoint survivant, l’écoute et l’aide à la recherche de professionnels assurant la prise en charge psychologique, la recherche de prestataires assurant le déménagement et la garde de meubles.

VI - Les droits issus du droit international

Certes moins prolixes que les droits nationaux à propos des personnes endeuillées, les organisations internationales ont engagé, chacune à son niveau, des initiatives, dont certaines plus récentes que d’autres constituent l’amorce de futurs droits. À ce stade, il convient de distinguer les droits ouverts par les instances telles que le Conseil de l’Europe, la Commission européenne, le Parlement européen et l’Organisation des Nations unies.

- Les droits initiés par le Conseil de l’Europe

Le 12 novembre 2003, le Comité européen de la santé du Conseil de l’Europe a adopté une recommandation du Comité des ministres sur l’organisation des soins palliatifs.

- Le droit à un traitement préventif des effets du deuil à l’occasion des soins palliatifs

Dans ses orientations d’actions, le Comité des ministres considère que les problèmes liés à la disparition, au chagrin et au deuil doivent être traités dès le début des soins palliatifs, lors du premier bilan, et se poursuivre pendant toute la durée des soins. Le parent d’un patient décédé, s’il a le sentiment que celui-ci a été correctement pris en charge et s’il a pu exprimer son inquiétude et recevoir de l’aide, est dans une condition favorable pour affronter le difficile travail du deuil. A contrario, s’il a de sérieuses réserves quant à la façon dont le disparu et lui-même ont été pris en charge, il risque davantage de réagir au chagrin d’une manière complexe et le travail de deuil prendra plus longtemps.

- Les droits initiés par le Parlement européen et la Commission européenne

La difficulté du Parlement européen à légiférer dans ce domaine réside dans son incapacité à trouver une juste répartition des compétences avec le Conseil de l’Europe. Néanmoins, sans pour autant trouver trace d’une mesure législative forte ayant marqué de son empreinte l’opinion publique européenne, un travail de recherche de fond a permis de recenser quelques timides propositions des parlementaires.

- Droit au bénéfice des droits à pension des ayants droit alors même qu’ils ne résident pas dans le pays d’emploi du défunt

Bon nombre d’États membres refusent aux ayants droit d’un défunt le bénéfice de diverses pensions ou prestations au seul motif qu’ils ne résident dans le pays d’emploi du défunt. La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes à Luxembourg foisonne d’exemple de discriminations qui ont fait l’objet de condamnations, mais n’ont inspiré aucune proposition d’ordre législatif ou réglementaire.

- Le droit à un congé de deuil

Deux députés, Frieda Brepoels (Verts/ALE) et Dirk Sterckx (ALDE), rappellent à la Commission européenne que de nombreuses conditions de travail sont fixées au niveau européen. Ainsi, certains États membres intègrent dans leurs législations nationales un nombre minimal de jours de congés exceptionnels, tels que le congé de maternité, le congé parental et peut-être bientôt aussi le congé de paternité.

Le congé de deuil n’est toutefois pas encore fixé au niveau européen. Selon les deux députés, il existe, aujourd’hui, une disparité particulièrement grande dans les règlements relatifs aux congés dans les 27 États membres pour les personnes qui perdent leur partenaire.

- Le droit à un standard européen de rapatriement de personnes décédées

C’est à l’initiative du député Ian White (PSE), en date du 8 février 1995, que la Commission européenne est interpellée quant à la mise en place d’une procédure standard de rapatriement de personnes décédées à l’intérieur du territoire européen.

Selon ce dernier, "il semblerait qu’il n’existe pas de procédure standard pour le rapatriement de personnes décédées d’un État membre à l’autre à l’intérieur de l’Union européenne, ce qui ajoute immanquablement à la détresse des personnes en deuil, à un moment très difficile pour elles".

- Le droit à un niveau de protection élevé des personnes endeuillées en matière de démarchage commercial

La directive du Parlement européen et du Conseil relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant les directives 84/450/CEE, 97/7/CE et 98/27/CE (directive sur les pratiques commerciales déloyales) (COM(2003) 356 – C5‑0288/2003 – 2003/0134(COD) est intéressante à plus d’un titre, notamment en ce qu’elle intègre une disposition spécifique aux personnes frappées par un deuil, qui ne figurait pas dans le texte de base mais qui a été ajoutée suite à un amendement déposé par des députés européens.

Cet amendement a été inséré à l’annexe n° 1 de la directive qui porte bien son nom avec l’intitulé "Pratiques commerciales agressives". Son objectif est de s’adresser de manière ciblée à des consommateurs ayant récemment vécu un deuil ou une maladie grave dans leur famille, en leur évitant d’être démarchés pour la vente d’un produit en rapport direct avec le malheur qu’ils ont connu.

- Le droit à la facilitation des successions transnationales

Le deuil est souvent une épreuve difficile à surmonter ; mais, lorsque l’héritage donne lieu à un litige entre membres d’une même famille, et qu’il concerne des biens situés dans plusieurs pays, la succession peut vite tourner au cauchemar. Une étude récente estime que, chaque année, entre 50 000 et 100 000 successions transnationales ont lieu dans l’Union européenne. Souvent avec des difficultés pour les héritiers, qui sont confrontés à des lois nationales différentes. Le Parlement a proposé à l’Union d’agir.

C’est sur cette base que le Parlement européen a pensé que la clé pour régler les héritages transnationaux réside dans la promulgation d’une loi européenne. Giuseppe Gargani, le député européen italien (groupe PPE-DE) rapporteur du Parlement, commente cette importante avancée en déclarant : "La loi sur les successions est un sujet sensible et émotionnel. Elle est souvent considérée comme un obstacle, pas comme un outil utile pour transmettre les dernières volontés d’un défunt. Un instrument communautaire est donc nécessaire".

Dans son rapport, le Parlement européen suggère de nouveaux critères, pour introduire plus de flexibilité et de liberté de choix aux parties prenantes à un conflit. C’est aussi un moyen de faciliter la reconnaissance mutuelle des décisions de justice prises par les juridictions nationales. Le Parlement a ainsi fait les propositions suivantes :
• Pour faciliter la reconnaissance du testament dans l’Europe entière, le Parlement propose de créer un "certificat européen de succession" qui indiquerait quelle loi et quelle juridiction s’appliquent.
• Un "réseau européen d’enregistrement des testaments" serait créé, liant tous les registres nationaux, afin de simplifier la recherche et la constatation des dernières volontés du défunt.

- Les droits initiés par la Commission européenne

Le Livre Vert de la Commission européenne sur la protection diplomatique des ressortissants des États membres de l’Union européenne consacre un véritable droit au rapatriement en cas de décès lors de catastrophes naturelles survenues dans des pays tiers.

- Le droit au rapatriement et à l’identification du corps de la personne décédée

Les conséquences des tsunamis ont montré l’ampleur du problème lié à l’identification et au rapatriement des dépouilles. Les autorités locales du pays tiers peuvent exiger une série de formalités, comme l’obtention d’un laissez-passer mortuaire (délivré par l’autorité consulaire) ou des certificats sanitaires et de police attestant le décès et les causes du décès, le respect de certaines prescriptions de santé publique relatives au cercueil, ou encore la traduction légalisée des documents administratifs.

Les familles des victimes doivent ainsi faire face à la complexité des procédures et aux coûts du rapatriement. Pour les frais liés au rapatriement des dépouilles, une action complémentaire pourrait être la création d’un système européen de compensation.

L’identification des dépouilles est un préalable nécessaire à leur rapatriement. À ce sujet, la Commission encouragera la recherche et le développement d’outils performants qui permettent l’analyse de l’ADN et qui soient moins coûteux que ceux actuellement existants.

- Les droits initiés par l’Assemblée générale des Nations unies

C’est à la première Dame du Gabon, Sylvia Bongo Ondimba, que l’on doit la création de la Journée internationale des veuves. Son combat personnel et diplomatique en faveur de cette noble cause a fini par être récompensé. Elle a su relayer, à temps, les 10 années d’efforts également déployés par Cherie Blair et sa Loomba Foundation, avec toute son énergie pour faire voter la résolution des Nations unies décrétant le 23 juin Journée internationale des veuves.

En conclusion, l’inventaire non exhaustif dressé donne un aperçu de l’ampleur du travail de codification à engager. Une tâche ardue dont seuls les experts peuvent mesurer la nature. Prélude à l’action de codification, le lancement d’une étude à même d’aboutir à une publication pédagogique sous le titre : "Code pratique des droits de la personne endeuillée". Ce travail préparatoire serait de nature à faciliter les travaux d’une future commission de codification.
 
Meziane Benarab

Résonance n° 189 - Mars 2023

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